lundi 14 février 2011

rien la

Vous êtes pas tannés de mourir, bandes de caves ?












Ci-git un peuple mort en chemin pour n’avoir pas su où il allait.






En 1970, sur la murale du Grand Théâtre de Québec, l’artiste Jordi Bonnet avait gravé, au grand scandale d’un bon nombre de Québécois, cette phrase du poète Claude Péloquin : Vous êtes pas tannés de mourir, bandes de caves? C’est assez!»






La phrase fit scandale à l’époque et d’aucuns supplièrent les autorités de l’illustre bâtiment, consacré aux beaux-arts, de faire disparaître un tel affront à la grande culture. Il faut en convenir, le texte n’était pas écrit dans un français impeccable. Cependant, il avait le mérite de dire ce que ça voulait dire.






Bien des Québécois ont lu ce texte en se rendant écouter les artistes «provinciaux», les vedettes du grand théâtre et de la chanson internationale. Plusieurs l’ont cité dans un écrit quelconque et, trente ans plus tard, quelques jeunes Québécois se souviennent d’avoir lu, quelque part, cette courte phrase dans un quelconque texte, dans une revue ou dans un papier qui parlait de l’apathie du peuple québécois.






Claude Péloquin était-il allé trop loin en «nous» traitant de «bandes de caves» ? Pas sûr ! La précision était là; l’effet fut remarqué mais les Québécois ne prirent conscience que partiellement qu’ils étaient ce qui était écrit sur le mur de l’illustre théâtre. A mon sens, il faudrait réécrire ce texte en lui donnant les couleurs du temps, la teinte d’une époque tricotée par le nihilisme, le défaitisme, le nombrilisme, l’individualisme, le narcissisme. Car, l’avachissement est à son comble. Le peuple se meurt de ne plus avoir d’idéaux, de combats collectifs. Il lui faudrait un électrochoc, un sursaut qui viendrait de l’intérieur. Un coup de théâtre, quoi!






Comme le peuple ne semble pas avoir compris, trente ans après, je sens en moi monter une certaine colère. Je sens que je dois dire ce que je vais écrire, comme un coup de coeur, comme un cri qui se doit d’être lancé.






Québécois, vous êtes pas écoeurés, tannés, exaspérés, fatigués, en beau maudit, en beau fusil, en beau tout ce que vous voudrez, de vous faire exploiter, manger la laine sur le dos; vous n’êtes pas tannés de vous faire mentir, de vous faire culpabiliser par les forces économiques, les forces politiques, les propagandes, les publicités fédérales, les publicités québécoises, les annonces dans les journaux de vendeurs de toutes sortes de choses qui ne vous serviront à rien ? Vous n’êtes pas tannés de vous faire mener par des gens qui n’ont le goût que de garder le pouvoir pour mieux s’engraisser, se remplir les poches, tannés de voir des gens courir après le même pouvoir pour faire exactement ce qu’ils ont dénoncé chez ceux qui l’exerçaient avant eux ?






Vous êtes pas écoeurés, tannés, fatigués d’entendre parler les politiciens, de gauche ou de droite, du centre et de l’extrême centre, dire toujours ce qu’ils ont envie de faire avec les moyens qu’ils n’ont pas et n’ont aucun espoir d’avoir, de vous faire claironner par ces mêmes politiciens que c’est toujours la faute du gouvernement précédent si ça ne marche pas, que c’est toujours la faute de l’autre gouvernement si ce gouvernement d’ici ne fonctionne pas, que la Constitution, ce n’est pas si important que cela et que même si le Québec n’a pas signé celle de 1982, ça peut fonctionner quand même, alors que ceux qui crient de telles inepties savent bien que c’est tout à fait le contraire, que tout pays normal vit à partir de sa première loi écrite qui est la loi constitutionnelle de base et que c’est sur celle loi fondamentale que s’assoient toutes les autres lois écrites par le Parlement ?






Vous êtes pas tannés de vous faire lessiver le cerveau tous les soirs avec les bulletins de nouvelles qui recommencent et répètent «ad nauseam» toujours les mêmes niaiseries sur Mom Boucher, sur les meurtres de la veille, les scandales sexuels de l’Église catholique romaine, sur les divorces, les séparations, les enfants et les femmes battues, les avortements à la tonne, les vieillards abandonnés au bout des rues, les décrocheurs de nos belles écoles chromées et polyvalentes, les récriminations de nos prisonniers mieux logés que n’importe quel pauvre de nos cités dortoir, nos pauvres qui gèlent dans les rues de Montréal en plein mois de février ? Vous êtes pas tannés d’entendre Jean Charest nous dire qu’il n'a rien à nous dire, de voir le petit Mario dire qu’il peut tout faire en ne nous montrant jamais comment il pourra le faire, de voir Landry, un matin, séparatiste, glissant sur les chiffons rouges et le lendemain, encensé les fédéraux parce qu’il a reçu un petit chèque inattendu, inespéré, claironnant comme Duplessis, qu’on nous a tout simplement remis notre butin ?






Vous êtes pas tannés de n’entendre que du négatif, des choses en noir, des bulletins de nouvelles qui commencent par les meurtres de la rue Saint-Laurent, les vols, les viols, les escroqueries dans les gouvernements, les conflits dans les hôtels de villes, les vendeurs de «pot» dans nos écoles, les filles-mères désolées, les sidéens qui ne se comptent plus, les malades qui dorment dans les corridors, les médecins essoufflés, les garde-malades épuisées, les enseignants ébranlés et en «burn out», les écoles qui se cherchent, qui parlent d’éducation mais qui n’en connaissent plus le contenu et le sens du mot, les étudiants désorientés, déboussolés, sans idéal, qui décrochent à pochetée même si on les entretient à coup de milliards par année?






Vous êtes pas tannés de voir nos richesses naturelles s’envoler, notre pays spolié, vendu au plus offrant, nos usines fermées, notre décor pollué, nos mers empoisonnées, nos lacs vidés, nos rivières saccagées, nos forêts dilapidées par des compagnies venues de l’étranger ? Vous êtes pas tannés de voir nos épargnes engraisser les pouvoirs étrangers, nos économies s’envoler, notre travail méprisé, nos sueurs engraisser l’exploitant venu de je-ne-sais où et du «cheap labor» de vos concitoyens exploités ? Vous êtes pas tannés de voir tout ça, devant vous, en écoutant vos télé-romans préférés, vos parties de hockey bien organisées, avec vos peanuts et vos bières qui vous font engraisser ?






Vous êtes pas tannés d’entendre les nouvelles du fédéral avec les odeurs de scandales qui flottent sur la Chambre des communes, la barque bloquiste qui voit ses matelots quitter l’embarcation qui coule, la barque péquiste dans la même position avec un capitaine sans vision, mettant le cap sur tout, sauf sur l’essentiel qui est la souveraineté? Vous êtes pas tannés de voir le parti, voué à l’indépendance, devenir de jour en jour, voué à la dépendance, à la sauvegarde des intérêts personnels de l’équipage, la satisfaction des petits goûts personnels des passagers, leurs carré de sable, et leurs petits joujoux du moment dont ils ne peuvent plus se passer ?






Vous êtes pas écoeurés d’entendre tout cela ? Vous êtes pas écoeurés de vivre de même, dans le trou, dans le noir, dans le nihilisme, le suicide collectif et individuel ? Les Québécois avaient, en 1970, il me semble, dans leur coeur, un grand projet, beau, net, ensoleillé, stimulant, pouvant faire chanter, à l’époque où il est né, tout un peuple qui se levait dans l’enthousiasme et la fierté, lui faire crier que c’était le début d’un temps nouveau, si longtemps espéré ?






Même là aussi, le peuple québécois n’a pas réussi. Là aussi, il a manqué son coup parce qu’il y a eu des gens qui l’ont méprisé, qui l’ont bafoué dans ce qu’il y a de plus beau au monde, à savoir la liberté et les engagements personnels et collectifs pour la faire fleurir en des moments inespérés. Là aussi, on a vu et entendu des gens qui ont dit que le peuple n’était pas capable, que tout allait se faire tout seul, sans combat, et que tout allait surgir comme par pure nécessité, comme par enchantement, parce que la liberté, selon eux, était inévitable, à portée de mains, sans combat obligé!






J’ai envie de vous crier, de vous dire, Québécois endormis, sommeillants, écrasés, avachis, que la phrase de Péloquin est véritablement en train de se réaliser sous vos yeux, sans que naisse, en votre coeur, le début d’une petite réaction espérée. Que vous allez tous mourir de votre inaction et de votre confort caché dans votre indifférence bien camouflée. Mais je sais que vous n’allez pas me croire, moi non plus, et que je vais passer pour un exalté, un décroché, un déconnecté, un gars alarmiste, un épouvantail à moineaux, perdu dans les grands espaces que les étrangers nous ont volés.






J’entends, cependant, dans le lointain, les choeurs joyeux d’une nouvelle jeunesse qui reprend le chant de notre délivrance abandonnée. Ceux qui l’ont bousillée, à cause de leurs petits intérêts personnels et mesquins, doivent, de toute urgence, se joindre à cette chorale juvénile des temps nouveaux, l’espace d’un moment, pour compléter ce que la «bande de caves» n’a pas réussi à réaliser, pendant que des chorales bien plus petites à travers le monde (une vingtaine depuis 1990) ont réussi à faire avec des chanteurs et des musiciens de qualité souvent des fois bien inférieurs à la nôtre. Cela, je l’ai vérifié !






Écrire tout ce que je viens de dire, ça prendrait plus que les murs du Grand Théâtre : ça prendrait le Colisée Pepsi, le Centre Molson, le stade Olympique qu’on n’a pas fini de payer, la place des Arts de Montréal, et quoi encore que mon imagination n’arrive pas à localiser. Si on n’arrive pas à faire claironner nos espoirs dans le concert d’une nation unifiée, alors, il faut retourner au Grand Théâtre de Québec, pour effacer la phrase gravée par Jordi Bonnet, il y a quelques années.






Il faudrait que quelqu’un passe et écrive :






Ci-gît un peuple mort en chemin


Pour n’avoir pas su où il allait.






Je sais que cet artiste ne passera pas, puisque chaque Québécois est en train d’écrire sa propre condamnation, sans même qu’il s’en rendre possiblement compte, tellement son amnésie est avancée. Une page est en train de se tourner. Il n’y a pas de mort pire que celle d’un peuple qui se condamne lui-même par sa propre inaction, son silence concerté.






Mais, selon moi, il faut croire, malgré tout, à la petite chorale, qui, dans ce matin nouveau, commence à chanter. Malgré mes 62 ans, une voix éraillée, j’ai toujours envie de me joindre à cette petite troupe, juste le temps d’un refrain oublié!













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